29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:27

(Friedrich Brandseph, Doppelgänger, 1868)

C'est le mérite de certains grands esprits de donner dans leurs œuvres la formule la plus complète de leur époque. En eux se résument les aspirations du peuple dont ils exaltent les qualités maîtresses. Représentants typiques de leur génération, ils sont aussi l'aboutissant, et, s'ils ont su se mettre à la tête d'un courant, il n'en est pas moins vrai que c'est ce courant qui détermine leur route. Cependant la nation les vénères et ils ont le droit de s'en faire gloire.


D'autres au contraire, vivent à l'écart, loin des préoccupations de leurs temps. Sans souci du présent, leur regard est fixé vers l'avenir. Chercheurs infatigables dans le domaine la pensée, ils tracent à l'humanité sa voie. Ce sont les Héros. Que leur importe la gloire d'aujourd'hui ! Solitaire au milieu de la foule incompréhensive, ils sont assez grands pour projeter leur ombre dans le lointain, au-delà des générations.


Nietzsche est de cela.


Il s'est appelé lui-même un penseur « inactuel ». Les préoccupations de son époque n'étaient point les siennes. Il voyait trop clair pour que les idoles du jour subsistassent devant lui. Sa critique incisive n'a rien laissé debout de ce que vénère notre temps. C'est pourquoi le succès ne devait pas venir à lui. Drapé « comme d'un manteau » du silence que l'on faisait autour de son nom, il s'est mis à suivre des chemins solitaires, « où l'on ne rencontre personne ».


Quand son esprit s'est voilé de ténèbres, quand sa plume est tombée de sa main, ce fut un fait divers qui passa totalement inaperçu.


Nietzsche n'avait pas encore de lecteurs.[1]

Le portrait croisé esquissé par la traducteur Henri Albert en 1902, au seuil de la toute première compilation d'aphorisme intitulée Pages choisies, destinée à introduire la pensée du criminel honnête auprès du public français ; nous reconduit à un stade proprement initial de l'histoire de la réception française. Preuve étant que la procession zoroastrienne avait déjà commencé de son vivant, ces morceaux choisis - pour les mouches de la place publique - sont jetés pour la première fois en pâture en janvier 1899, soit dix ans après son effondrement et six mois avant son trépas. Un tel retour à la case départ était nécessaire, pour retrouver le patronyme de nos philosophes placés l'un à la suite de l'autre, parmi les maîtres de la pensée contemporaine pour reprendre le titre commun des compilations de Georg Brandes et Jean Bourdeau. Ce qui nous amène à formuler un premier constat, afin de donner au public parisien une idée du criminel honnête, le traducteur le place délibérément à la suite de monsieur Taine, dont les traits transparaissent en filigrane au sein du premier paragraphe. Ce portrait biographique a la particularité d'abolir toute séparation entre vie (bios) et œuvre (graphein), autrement dit les philosophes sont eux-mêmes les incarnations parfaites de leurs propres idées sociales, ou du croisement dual entre leurs conceptions mutuelles des génies nationaux.

Au sein du premier paragraphe, Taine devient sous la plume de Henri Albert le parfait représentant de l'esprit gaulois. Abordé de manière linéaire, la première ligne comporte une référence à son système philosophique (la race, le milieu, le moment), la seconde une allusion à sa conception de la faculté maîtresse, la troisième le place en tête de proue du positivisme français, autant d'indices qui nous permettent d'évoquer finalement son nom : Taine est de cela. Face à lui, sur l'autre rive du fleuve, le philosophe germain est celui qui mène une lutte héroïque contre l'esprit de son temps (zeitgeist), la plante déracinée qui recherche un climat constant entre la montagne et la mer. Observons à présent le second paragraphe à la loupe, de manière à relever les différentes allusions au récit. En premier lieu, la référence à la préface de la seconde considération inactuelle, formule redondante qui revient notamment dans le passage suivant : « Et si vous avez besoin de consulter des biographies, ne choisissez pas celles qui portent le titre : Monsieur Untel et son temps, mais préférez les études qui pourraient s'intituler : "Un lutteur qui combattit son temps"»[2]. En ce sens, la référence nous permet d'appréhender la vision vulcanienne de l'individu qui mène une lutte héroïque contre l'esprit du temps, comme la réciproque de la vision neptunienne de l'individu façonné par son milieu ; de suggérer que la conception tainienne est prise à contre-pied, dès le commencement de sa critique de l'historicisme. De sorte que les idées sociales seraient à la fois opposées, mais également complémentaires et réversibles. Alors que Taine replace l'homme particule dans toutes les composantes de son milieu, considère que les génies nationaux incarnent les grandes tendances de l'esprit du peuple, présente en quelque sorte les mains invisibles qui façonnent les individus ; le rebelle aristocratique rompt avec les visions téléologiques, les événements du temps présent sont proprement imprévisibles, un seul individu est capable de reverser à tout moment le cours de l'Histoire, un criminel de petite envergure peut assassiner un duc, un criminel de grande envergure redessiner les frontières des nations, les exemples historiques ne manquent pas. Dans le troisième paragraphe, le traducteur fait allusion à l'esprit « clandestin sous son manteau de lumière » dans la première partie du Par-delà Bien et Mal, mais qui se métamorphose sous sa plume en « manteau de silence ». Sa formule, nous indique plus précisément un aphorisme sur l'indépendance[3]. Taine est un philosophe français au pays des germains, le criminel honnête un philosophe allemand au pays des gaulois, chacun portant son regard sur la rive opposée à la sienne, le premier reflète la vision idéale du second, le second la représentation idéelle du premier.

Si le portrait de Henri Albert n'est pas authentique, le croisement que le traducteur opère entre les regards n'en demeure pas moins valide sur un plan didactique, puisqu'il laisse transparaître ici et là une entente-duale entre les auteurs (agôn), une analogie symétrique entre deux figures opposées (A'), un couple des contraires, un jumelage. Aperçu de loin, le génie abominable serait donc en quelque sorte le doppelgänger de monsieur Wilson... Vue de plus près, l'entrecroisement des regards sur les rives du Rhin devient forcément un peu louche, puisque les philosophes illustres également le rapport franco-allemand, tel qu'il était représenté couramment à l'époque, la vieille rivalité entre les deux sœurs siamoises (Paris-Berlin). Ainsi, le portrait de Henri Albert serait tout à la fois à l'image de l'esprit du temps, de leurs conceptions mutuelles, de leurs personnalités, subtilement imbriquées comme de petites poupées russes...

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[1]Henri Albert, Nietzsche : pages choisies, extrait de la préface de 1902

[2]Seconde considération inactuelle, 6.

[3]Par-delà Bien et Mal, § 30.

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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:26

 

Ces années d’un labeur continu dans cet ermitage de la rue Guy-de-la-Brosse avaient produit, outre cette Anatomie de la volonté, une Théorie des passions, en trois volumes, dont la publication aurait été plus scandaleuse encore que celle de la Psychologie de Dieu, si l’extrême liberté de la presse et du livre depuis tantôt dix ans n’avait habitué les lecteurs à des audaces de description que la tranquille férocité technique d’un savant ne saurait égaler. Dans ces deux livres se trouvait précisée la doctrine de M. Sixte, qu’il est indispensable de résumer ici, en quelques traits généraux, pour l’intelligence du drame auquel cette courte biographie sert de prologue, Avec l’école critique issue de Kant, l’auteur de ces trois traités admet que l’esprit est impuissant à connaître des causes et des substances, et qu’il doit seulement coordonner des phénomènes. Avec les psychologues anglais, il admet qu’un groupe parmi ces phénomènes, celui qui est cliqueté sous le nom d’âme, peut être l’objet d’une connaissance scientifique, à la condition d’être étudié d’après une méthode scientifique. Jusqu’ici, comme on voit, il n’y a rien dans ces théories qui les distingue de celles que MM. Taine, Ribot et leurs disciples ont développées dans leurs principaux travaux. Les deux caractères originaux des recherches de M. Sixte sont ailleurs. Le premier réside dans une analyse négative de ce qu’Herbert Spencer appelle l’Inconnaissable. On sait que le grand penseur anglais admet que toute réalité repose sur un arrière-fonds qu’il est impossible de pénétrer ; par suite, il faut, pour employer la formule de Fichte, comprendre cet arrière-fonds comme incompréhensible. Mais, comme l’atteste fortement le début des Premiers Principes, pour M. Spencer cet Inconnaissable est réel. Il vit, puisque nous vivons de lui. De là il n’y a qu’un pas à concevoir que cet arrière-fonds de toute réalité enveloppe une pensée, puisque notre pensée en sort ; un cœur, puisque notre cœur en dérive. Beaucoup d’excellents esprits entrevoient dès aujourd’hui une réconciliation probable de la Science et de la Religion sur ce terrain de l’Inconnaissable. Pour M. Sixte, c’est là une dernière forme de l’illusion métaphysique et qu’il s’est acharné à détruire avec une énergie d’argumentation que l’on n’avait pas admirée à ce degré depuis Kant. [1]

La redingote du professeur. Adrian Sixte était assurément un penseur anti-matérialiste et Robert Greslou un immoraliste notoire, mais en réalité monsieur Taine n'était pas le personnage de fiction que nous retrouvons dans le récit... Si la publication du roman de Paul Bourget intervient quelques mois plus tard, la période de composition coïncide quant à elle pleinement avec le contexte en présence au moment des faits (septembre 1888 - mai 1889). Résidant à la Irren Heil und Pflege Ansalt depuis le 18 janvier 1889, le criminel honnête n'a pas eu la chance de lire le roman psychologique de son écrivain français préféré, dans lequel réside une singulière physionomie mentale. Au sein du récit, Adrian Sixte fait surtout figure d'Herbert Spencer français, un lecteur de Taine et de Ribot (psychopathologie) et de l'école associationniste anglaise (physiologie-physionomie) : « Jusqu'ici, comme on le voit, il n'y a rien dans ces théories qui les distingue de celle que M. Taine, Ribot et leurs disciples ont développées dans leurs principaux travaux. Les deux caractères originaux des recherches de M. Sixte sont ailleurs. Le premier réside dans une analyse négative de ce qu'Herbert Spencer appelle l'inconnaissable... »[2]. Parmi les traits caractéristiques du philosophe positiviste, notons que Adrian Sixte est un philosophe-médecin, dont la doctrine a la particularité d'abolir la morale, en la réduisant à une sorte de chimie des sentiments moraux ; son fervent disciple Robert Greslou, qui lui avait jadis adressé un manuscrit intitulé contribution à l'étude de la multiplicité du moi, vient de commettre un assassinat qui fait scandale dans la presse.

Robert Greslou allias Henri Chambige ? Même si Paul Bourget dément la plupart des interrelations directes entre la fiction et la réalité, force est de reconnaître que le récit s'inspire de certains « faits divers », qui figuraient en première page de tous les journaux de l'époque. En premier lieu, un crime passionnel qui a fait couler beaucoup d'encre, l'assassinat de Magdeleine Grille par un certain Henri Chambige. Au moment des faits, Paul Bourget passait pour le maître de Henri Chambige auprès de l'opinion public, puisque le criminel honnête avait eu la gentillesse de lui adresser son tout premier manuscrit. Comme le dossier est trop volumineux pour restituer tous les détails de l'affaire, nous reconduisons préalablement notre lecteur à l'investigation menée par les historiens des sciences[3], de manière à éviter le plus possible les redites. Nul besoin de revenir sur les multiples analogies entre la description du meurtre dans le récit et celui perpétré dans la villa Sidi-Mabrouk située à proximité de Constantine le 25 janvier 1888, la transposition entre Henri Chambige et Robert Greslou semble aussi tenace qu'une tâche de sang. Seulement, nous devons signaler que la transposition n'est pas exclusive, d'autres affaires viennent alimenter le roman psychologique de Paul Bourget. Alors que le procès Chambige suscite la polémique au cours du mois de novembre, ce sont les péripéties du procès Prado qui ponctuent le mois de décembre. Somme toute, dans les deux cas, nous retrouvons à la barre du tribunal le criminel honnête justifiant son acte meurtrier devant ses juges, ou apportant la preuve de sa propre culpabilité, comme les confessions de Chambige, ou les plaidoyers de Prado. Malgré les multiples analogies entre faits et fiction, Robert Greslou n'est pas directement Henri Chambige, puisque la figure du récit correspond davantage une physionomie mentale qui assimile plusieurs meurtriers, qui appartiennent tous à la période de composition du roman. Or, c'est précisément là que réside une curieuse coïncidence, pour reprendre le terme de la correspondance à Strindberg au sujet des plaidoyers de Prado[4], puisque ce sont les mêmes protagonistes que nous retrouvons au sein des dernières paroles adressées à Jacob Burckhardt : « Ne prenez pas l’affaire Prado trop au sérieux. Je suis Prado, je suis aussi le père de Prado, j’ose ajouter que je suis aussi Lesseps… Je voulais donner à mes Parisiens, que j’aime, une nouvelle idée - celle du criminel honnête. Je suis aussi Chambige - un autre criminel honnête »[5]. Autrement dit, le romancier esquisse une physionomie mentale à partir des criminels honnêtes, auxquels le philosophe s'était lui-même personnellement identifié au sein de sa dernière lettre, Robert Greslou étant la représentation qu'il voulait donner de lui-même au public parisien... Ce n'est plus une simple coïncidence, mais une congruence entre les sources qui s'explique notamment par le contexte en présence, les fameux « faits divers » qui figuraient dans les colonnes du Figaro. Considérer que nos auteurs s'abreuvent dans une même source d'inspiration n'a proprement rien de déconcertant. Sauf à considérer que Paul Bourget était jadis aux premières loges, pour assister au spectacle de la seconde crucifixion, puisqu'il était l'ami de Gabriel Monod et résidait à proximité de Malwida von Meysenbug au cours du mois d'octobre 1888, plus exactement au moment où s'amorce les démarches pour la traduction du Cas Wagner. Il y a donc connivence entre les correspondants, puisque Paul Bourget rencontre Malwida intervient au moment culminant de la dispute au sujet de Wagner. Au lieu d'obtenir les inestimables conseils qu'il avait escompté, le philosophe méconnu à désormais l'assurance que l'on saupoudre du sucre sur son dos. Autre élément qui nous permet de montrer l'entente entre les correspondants, le fait que Bourdeau avait déjà reçu la « brochure sur Wagner », avant même de recevoir la lettre de présentation. Ayant par ailleurs promis à Gabriel Monod, de lui consacrer une colonne dans le journal des débats au sujet du Cas Wagner... Sans affirmer que Paul Bourget avait eu vent de la dernière lettre, notons qu'il était tout de même bien placé pour avoir connaissance des circonstances de l'effondrement.

Adrian Sixte allias monsieur Taine ? Au lieu de cautériser par avance toutes les plaies que son livre pourrait occasionner, Hippolyte Taine reçoit le livre par simple envoi de l'éditeur, puis se reconnaît malencontreusement lui-même sous la redingote du professeur Sixte... Il faut dire que le vitriol et le sucre laissent des traces particulièrement tenace, monsieur Taine à la triste impression de retrouver le portrait du philosophe matérialiste, immoraliste et athée qui lui collait désespérément à la peau. Geste d'autant plus maladroit, que Bourget revient à la charge, afin de briser la muraille de silence dans laquelle Taine avait pris refuge. La réponse extorquée est poignante : « pourquoi faire de la peine, et inutilement, à un homme qu'on estime, à un esprit que l'on aime ? »[6]. L'éducateur de tous les esprits sérieux en France est immanquablement touché par une flèche empoisonnée qui ne lui était pas personnellement destinée. Ce qui donne lieu à un quiproquo particulièrement déroutant, puisque Paul Bourget n'aura de cesse de démentir la transposition avec Hippolyte Taine par la suite. Ce dernier étant particulièrement bien placé pour apprécier sereinement la distance qui le sépare de la figure du récit, monsieur Taine ne manque pas de signaler à son tailleur de costard, qu'il se retrouve quelque peu à l'étroit dans la redingote du professeur Sixte : « avec cette ignorance colossale, il se permet de conclure sur le monde social et le moral, de réduire la notion du bien et du mal à une conviction utile et puérile ! ». Taine critique ici le manque de réalisme de la figure et n'a de cesse de la dissocier du véritable homme de science (lui-même). Si la redingote ne lui sied guère, ce n'est pas forcément le cas de l'obscur philosophe allemand, qui lui avait adressé un recueil d'aphorisme intitulé Par-delà le Bien et le Mal quelques années auparavant. On dit souvent que Paul Bourget n'a jamais pris le temps de lui répondre... Sauf à considérer que le romancier dénonce ici l'influence d'une philosophe destructrice de la Morale sur les jeunes esprits, celle que l'on désignait à l'époque sous le nom de philosophie négative. A qui appartient la redingote du professeur Sixte ? A bien y réfléchir, si Hippolyte Taine à la désagréable impression de se retrouver lui-même dans le récit, alors que dire de son doppelgänger ? A tous le moins, disons que le Par-delà Bien et Mal a manifestement servi de source d'inspiration pour l'élaboration de la doctrine du professeur Sixte. Ce trait m’apparaît d'autant plus pattant, que si l'on porte attention à toutes les dissemblances indiquées dans la réponse de Taine, nous discernons du même coup les principales divergences entre leurs doctrines respectives. Mais si d'un côté, nous considérons que Robert Greslou n'est pas directement Henri Chambige, mais correspond davantage à une physionomie mentale qui assimile plusieurs criminels, alors pourquoi revêtir de l'autre Taine de la redingote du professeur Sixte ? C'est parce que Taine s'est reconnu lui même, bien qu'il signale les multiples différences qui résident entre lui et le personnage ; c'est parce que le criminel honnête s'identifie personnellement à Chambige et Prado au sein de sa dernière lettre, ce qui nous permet d'indiquer que les deux criminologues esquissent simultanément la même physionomie mentale, fondée sur modèle galtonien du criminel héréditaire.

Sa désillusion à l'égard de monsieur Bourget. Certains interprètes considèrent que le roman de Paul Bourget est le lieu d'un revirement soudain à l'égard de la philosophie de monsieur Taine et marque également son retour dans le giron du christianisme. A tous le moins, la conclusion de la lettre nous permet de l'appréhender comme tel : « Je ne conclus qu'une chose, c'est que le goût à changer, que ma génération est finie, et je me renfonce dans mon trou de Savoie. Peut-être la voie que vous prenez, votre idée de l'inconnaissable, d'un au-delà, d'un noumène, vous conduira-t-elle vers un port mystique, vers une forme de christianisme. Si vous y trouvez le repos et la santé de l'âme, je vous y saluerai non moins amicalement qu'aujourd'hui »[7]. Taine est désormais persuadé que son « neveu » le place délibérément parmi les penseurs pessimistes ; ou pour mieux dire, le fatalisme de monsieur Taine constitue une transition entre le pessimisme schopenhauerien et le nihilisme. Ce qui suscite immédiatement notre étonnement, puisque le philosophe français n'a eu de cesse d'aller à l'encontre des idées reçues, de nettoyer patiemment les traces de vitriol et de sucre qui entachaient sa redingote depuis fort longtemps. A force de lessiver, les badauds retiennent les slogans tapageurs, tandis que les lorettes s'indignent à l'écoute des formules les plus excessives. C'est pourtant là que réside le comble, retrouver l'imagerie vulgaire colportée par les lavandières, au sein du roman que lui adresse son disciple préféré. Que Paul Bourget prenne ainsi la licence de venir frotter le ventre de Thomas Graindorge, tout en l’attrapant par le bouton de sa redingote pour lui demander s'il est toujours un philosophe immoraliste et un athée, m'apparaît foncièrement peu probable. Par contre, que monsieur Taine disposait de toutes les cartes en main, pour se rendre compte qu'il s'agissait d'un quiproquo me semble plus probant. En tout cas, le romancier était curieux de connaître la réaction de monsieur Taine, puisqu'il a relancé ce dernier sans lui fournir la moindre explication au sujet de la figure d'Adrian Sixte. De l'autre côté, malgré le fait que nous ne disposons d'aucune source, nous permettant d'affirmer que le génie abominable avait connaissance du roman de Paul Bourget, nous présumons qu'il aurait été ravi de constater que son idée du criminel honnête est finalement parvenu à ses amis parisiens ; de retrouver ainsi sa propre philosophie mise en scène par son auteur français préféré ; au point de s'admirer lui-même sous la redingote du professeur Sixte ; qui avouons-le lui sied vraiment à ravir... Qui d'autre que lui pourrait la revêtir aussi aisément... Surtout que le roman de Paul Bourget illustre parfaitement le rapport dialogique présent dans les diatribes du Gai Savoir, ainsi que la critique du libre arbitre dans l'aphorisme 21 du Par-delà Bien et Mal, ou encore la thèse sur le sentiment de culpabilité et de faute, au sein de la seconde dissertation de la Généalogie de la Morale. Après plus d'un siècle de ronflement, notre rapprochement n'a proprement jamais effleurée personne, alors qu'il y a tout à la fois coïncidence vis à vis du contexte, congruence entre les sources et connivence entre les correspondants. Bref, l'occasion pour nous de replacer notre propos au sein de l'esthétique du roman de Paul Bourget...

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[1]Paul Bourget, le disciple, extrait du premier chapitre.

[2]Extrait du portrait d'Adrian Sixte, in Le disciple de Paul Bourget, chapitre I.

[3]Jacqueline Carroy, Marc Renneville. « Le crime de Chambige (1888) : entre psychologie et littérature. Littérature, histoire, psychologie : la psychologie fin de siècle », Jacqueline Carroy, Nicole Edelman et Jean-Louis Cabanes (Paris 10 Nanterre et EHESS), Nov 2006, Nanterre, France. pp.193-208. ffhalshs01390361f

[4]Lettre à Strindberg du 8 décembre 1888.

[5]Lettre à Jacob Burckhardt du 6 janvier 1889. La datation n'est qu'une estimation, la rédaction de la lettre pourrait être antérieure.

[6]Lettre de Hippolyte Taine adressée à Paul Bourget le 29 septembre 1889

[7]Lettre de Hippolyte Taine à Paul Bourget du 29 septembre.

 
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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:25

(François Nicolas Augustin Feyen-Perrin, la leçon d'anatomie du docteur Velpeau, 1896)

La lettre cachée sous la redingote du professeur Sixte. A mesure que les rivages de Cosmopolis s'effacent peu à peu de l'horizon, nous perdons de vue le contexte culturel de l'époque, au risque de confondre ou d'assimiler quelques conceptions qui se révéleront finalement étrangères au corpus. A première vue, rien ne laissait présager une quelconque incidence entre la philosophie d'Hippolyte Taine et la doctrine du malin génie, puis que le nom du philosophe français n'apparaît au demeurant qu'une seule fois dans le Par-delà Bien et Mal, puis finalement à deux reprises dans le Ecce Homo. Ajoutons, les discrètes allusions, que nous avons débusqué dans la Généalogie de la Morale et le Crépuscule des Idoles, cela fait somme toute fort peu de matière pour entamer une approche comparative. Sauf à considérer que l'apport de la pensée de Taine intervient de manière proprement initiale, au sein-même de la « genèse conceptuelle », au cœur du célèbre écrit posthume intitulé : Vérité et Mensonge au sens Extra-Moral. Serait-ce un pur produit de l'usine à poison[1], puisque le cahier noir est entièrement rédigé par la main de Carl von Gersdorff[2] ? Sans trop nous y attarder, signalons que la source devait initialement figurer en ouverture de La Naissance de la Philosophie à l'époque de la Tragédie Grecque[3], mais le projet sera finalement abandonné par la suite. Comme vous le savez sans doute, la source réside également au sein d'un apocryphe intitulé le Livre du Philosophe, nous reviendrons plus longuement sur la falsification opérée par les faussaires, sur leur manière de découper les paragraphes dans différents manuscrits, puis de réagencer les « aphorismes numérotés » selon l'ordonnance d'un plan. Pour l'heure, contentons-nous de restituer le seul élément présent dans le récit, qui nous renseigne sur la période de composition du manuscrit, un passage de extrait de la seconde préface d'Humain trop Humain : « Lorsque, par la suite, je voulus, dans la troisième Considération inactuelle, exprimer la vénération que je portais à mon premier et seul éducateur, le grand Arthur Schopenhauer - je le ferais aujourd’hui encore, bien plus fortement et d’une façon plus personnelle - je me trouvais déjà, pour ma part, au milieu du scepticisme et de la décomposition morale, c’est-à-dire autant occupé à la critique qu’à l’approfondissement de tout pessimisme - je ne croyais plus « à rien du tout », comme dit le peuple, pas non plus à Schopenhauer : c’est à cette époque que naquit un mémoire, tenu secret jusqu’ici, sur la vérité et le mensonge au sens extra-moral »[4]. Outre le fait que les études théorétiques sont présentées ici comme un mémoire tenu secret, la rétrospective suscite quelques interrogations : pourquoi affirmer d'une part que Schopenhauer était le seul et unique éducateur, pour indiquer de l'autre que la période correspond à l'amorce de son revirement à la ligne suivante ? Pourquoi revenir après tant d'années sur un mémoire inachevé rédigé en été 1873, alors qu'il demeure inconnu du lecteur jusqu'en 1892 ? Pourquoi le professeur Sixte cache un mémoire secret sous sa redingote ? A défaut de pouvoir vous raconter la fable de la minute la plus mensongère de l'histoire universelle, nous prélevons une toute petite partie du vir obsurissimus qui résidait depuis le commencement dans la pomme, en relevant la première référence au De l'intelligence d'Hippolyte Taine.

« Qu’est-ce qu’un mot ? La représentation sonore d’une excitation nerveuse. Mais conclure d’une excitation nerveuse à une cause extérieure à nous, c’est déjà le résultat d’une application fausse et injustifiée du principe de raison. Comment aurions-nous le droit, si la vérité avait été seule déterminante dans la genèse du langage, et le point de vue de la certitude dans les désignations, comment aurions-nous donc le droit de dire : la pierre est dure - comme si « dure » nous était encore connu autrement et pas seulement comme une excitation toute subjective ! Nous classons les choses selon les genres, nous désignons l’arbre comme masculin, la plante comme féminine : quelles transpositions arbitraires ! Combien nous nous sommes éloignés à tire-d’aile du canon de la certitude ! Nous parlons d’un « serpent » : la désignation n’atteint rien que le mouvement de torsion et pourrait donc convenir aussi au ver. Quelles délimitations arbitraires ! Quelles préférences partiales tantôt de telle propriété d’une chose, tantôt de telle autre ! Comparées entre elles, les différentes langues montrent qu’on ne parvient jamais par les mots à la vérité, ni à une expression adéquate : sans cela, il n’y aurait pas de si nombreuses langues. La « chose en soi » (ce serait justement la pure vérité sans conséquences), même pour celui qui façonne la langue, est complètement insaisissable et ne vaut pas les efforts qu’elle exigerait. Il désigne seulement les relations des choses aux hommes et s’aide pour leur expression des métaphores les plus hardies. Transposer d’abord une excitation nerveuse en une image ! Première métaphore. L’image à nouveau transformée en un son articulé ! Deuxième métaphore. Et chaque fois saut complet d’une sphère dans une sphère tout autre et nouvelle ». [5]

Mon propos ne manquera pas de susciter la curiosité du lecteur, qui entraperçois peut-être, derrière les exclamations de notre philosophe, sinon les prémisses majeures d'une démonstration logique, du moins les arguments fondateurs d'un raisonnement critique sur différents critères de véracité. Or, il m'apparaît intéressant d'indiquer que la notion de métaphore physiologique : « les mots sont des représentations sonores d'une excitation nerveuse », serait de fait une référence à la conception tainienne de l'hallucination vraie. En d'autres termes, l'affirmation qui lui permet d'instaurer une profonde césure entre la pensée et l'être (Parménide), ou de saper méthodiquement les murailles de la mimesis (Platon), provient directement des premiers chapitres du De l'intelligence. Cela étant dit, en montrant du doigt la provenance d'un concept, nous ne cherchons aucunement à lui soustraire, ou saper son dogmatisme négateur, mais au contraire d'apprécier sa manière de lutter contre d'antiques médecins de l'âme, en employant les pratiques et la terminologie de la psychologie expérimentale de son temps. Nul besoin d'ouvrir un dictionnaire, ou de nous reporter à un précis de vocabulaire, puisque les deux volumes du De l'intelligence contiennent toutes les notions nécessaires pour notre exploration, la terminologie des philosophes-médecins. Dans le cas qui nous occupe, le paragraphe précédent, nous reconduit implicitement à la conclusion formulée par Taine au terme des premiers chapitres, de la première partie, du premier volume :

On peut donc affirmer avec certitude que l'événement intérieur que nous appelons sensation et qui se produit en nous lorsque nos nerfs et, par suite, notre cerveau, reçoivent une impression du dehors, se reproduit en nous sans impression du dehors, dans la plupart des cas, partiellement, faiblement, vaguement, dans beaucoup de cas avec une netteté et une énergie très-grandes, en certains cas avec un détail et une précision presque égaux ceux de la sensation. Les sensations de l’ouïe, du goût, de l'odorat, du toucher, et, en général toutes les sensations, quel que sortie nerf qui, par son ébranlement, les excite, ont aussi leurs images. Chacun de nous peut entendre mentalement un air, et, en certains cas, l'image est bien voisine de la sensation. […] Mais quand une image, acquérant une intensité extraordinaire, annule la sensation particulière qui est son réducteur spécial, l'ordre des souvenirs a beau subsister et les jugements ont beau se produire, nous avons une hallucination à la vérité, nous nous savons hallucinés, mais l'image n'en paraît pas moins extérieure ; nos autres sensations et nos autres images forment encore un groupe équilibrée mais ce réducteur est insuffisant, car il n'est pas spécial.[6]

Que la référence à la conception tainienne de l'hallucination vraie soit demeurée inaperçue depuis plus d'un siècle est passablement regrettable, mais remarquer que la démonstration des prémisses, réside dans l’œuvre du philosophe français est particulièrement déconcertant. Il suffit de confronter les sources, pour s'apercevoir que nous sommes manifestement en présence d'un emprunt doctrinal, mais surtout d'une critique formulée à l'encontre de la conception tainienne. Selon le verdict du législateur ivre, la Vérité n'est pas une propriété du langage, les mots ne nous permettent pas d'accéder à l'en-soi des choses, les concepts sont des métaphores oubliées pour reprendre la formule de Sarah Kofman. De telle sorte que le malin génie instaure une certaine indiscernabilité entre le réel et l'imaginaire, en instaurant une profonde césure entre la pensée et l'être[7], en montrant le gouffre qui réside entre le mot et la chose, en interrogeant les deux lettres qui séparent et relient tout à la fois l'homme et le monde, en limant les grilles grammaticales des catégories kantiennes. Afin de reprendre son exemple, si les mots abstraits sont dépouillés des qualités concrètes qu'ils attribuent pourtant à l'objet, si le mot pierre n'est finalement pas assez dur pour représenter adéquatement la pierre, alors on serait tenté de rétorquer que seule l'expérience sensible nous permet d'en attester ; mais c'est précisément là que réside le point de désaccord avec la conception tainienne. A l'entendre, les sensualistes présupposent trompeusement que les impressions sensibles proviennent du dehors, ou pour employer le vocable de Taine que les excitations nerveuses résultent de causes extérieures : « conclure d'une excitation nerveuse à une cause extérieure à nous, c'est déjà le résultat d'une fausse application du principe de raison ». Autrement dit, notre expérience sensible perdrait son évidence factuelle, car il s'agit déjà d'une interprétation produite par une zone du cerveau (phrénologie). Un vulgaire cul-de-jatte pourrait témoigner en sa faveur, en disant qu'il ressent parfois des picotements sur ses membres fantômes, sans la moindre intervention d'une cause extérieure ; ou qu'il éprouve des difficultés à attester de la dureté de la pierre, depuis que ses nerfs ont été sectionnés. La pierre est-elle assez dure « en-soi » indépendamment de la perception et de la représentation du sujet ? A la différence de monsieur Taine, le malin génie adopte une posture philosophique que nous prenons le risque de qualifier de solipsiste, nous y reviendrons plus avant. Admettons que l'évocation d'un nom suffit pour produire une image au sein de notre intellect (première métaphore), ou bien que notre perception sensible est déjà une interprétation du cerveau (seconde métaphore), alors comment vérifier que les représentations produites par notre intellect ne sont pas des simulacres trompeurs, de simples ombres qui s’agitent en tout sens sur la parois de la caverne ? Comment une hallucination pourrait finalement produire autre chose qu'une pure hallucination ? Comment en rendre compte, si nous récusons le principe d'identité et le critère d'adéquation entre la représentation et la chose ? De façon à nous empêcher de prononcer l'indicible vérité, la rétrospective nous indique que seul Arthur Schopenhauer était son éducateur, pourtant nous reconnaissons l'enfant du criminel honnête dans le dos de monsieur Taine. Qu'en serait-il de son revirement à l'égard de Schopenhauer, sans la critique tainienne du corps propre de Maine de Biran ?

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[1]. Charles Adler, Nietzsche sa vie et sa pensée, 1920, tome 2, livre 2

[2]. La notice précise que le cahier est entièrement rédigé par Gersdorff : http://www.nietzschesource.org/DFGA/U-II-2

[3]. Intervention de Paolo D'Iorio, lors du séminaire de l'ITEM de septembre 2019.

[4]. Humain trop Humain, préface de 1886, 1.

[5]. Vérité et Mensonge au sens extra-moral, 1873

[6]. Hippolyte Taine, De l'intelligence, tome 1, livre 2, chapitre 1 : nature et réducteur de l'image, I/V

[7]. L’origine de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque, Parménide, XI

 

 
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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:22

(Jean Béraud, salle de rédaction du journal des débats en 1890, détail)

 

Jean Bourdeau secrétaire d'ambassade. Au cours de notre lecture des lettres fantômes, nous avons montré la précipitation du criminel honnête, qui consécutivement à la réception de la dernière lettre de Taine, commence à propager la « bonne nouvelle » autour de lui : « Mon Canal de Panama vers la France est ouvert » ; alors qu'il n'avait pas encore reçu la moindre réponse de la part du rédacteur au Journal des Débats. Serait-ce l'enthousiasme procuré par la lettre du philosophe français, qui le pousse à s'avancer auprès de ses correspondants ? Notons que dans ses lettres, il est partout question d'un monsieur Taine qui salut les audaces et les finesses de son Crépuscules des Idoles, ou bien qui lui recommande l'une des personnalités les plus éminentes en France, rien de moins que le rédacteur en chef du Journal des Débats... Seulement, dans les petits faits vrais qui nous occupent, la dernière lettre serait dotée d'une tonalité ironique, Taine pointant du doigt la série de portraits esquissées à la manière de Carlyle, au sein desquels réside sa propre caricature...Venir frotter le ventre de l'oncle Graindorge, pour lui demander un lecteur plus compétent que lui, cela ne manquait assurément pas d'audace ou de finesse, mais n'était pas sans risques : tout en avouant volontiers qu'il ne parvient pas toujours à discerner toutes les subtilités de la langue allemande, le philosophe français déclasse le Crépuscule des Idoles au rang de littérature étrangère et lui retire sa reconnaissance de critique et d'historien. Ajoutons que l'ironie de la dernière lettre de Taine, cède maintenant sa place à un quiproquo au sujet de Bourdeau...

Jean Bourdeau n'était pas du tout le rédacteur en chef du Journal des Débats, encore moins l'une des personnalités les plus éminentes en France ; le germaniste n'était qu'un contributeur occasionnel de la revue savante. Connu pour être le gendre du philosophe Elme-Marie Caro, Bourdeau avait déjà rédigé un article sur le poète Heinrich Heine pour la revue et publié une compilation de morceaux choisis Pensées, maximes et fragments sur la pensée de Schopenhauer, rééditée en 1885 sous le titre Douleurs du Monde. Son visage figure également sur le tableau de Jean Béraud, témoin silencieux de l'effervescence de la salle de rédaction du Journal des Débats. Le quiproquo devient d'autant plus pattant, lorsque nous prenons en compte une confusion possible entre les traducteurs de Schopenhauer, ce n'est pas Bourdeau, mais Burdeau, qui est un homme politique de la Troisième République. 

De tel sorte que le criminel honnête aurait momentanément confondu le traducteur du Monde comme Volonté et Représentation et celui de la compilation intitulée Douleur du Monde. On comprend dès lors, l'enthousiasme procuré par la recommandation de Taine, qui lui laisse présager rien de moins que la même réception que Schopenhauer ; mais plus encore sa déception, lorsqu'il s'aperçoit de la tournure ironique de la lettre de Taine, quand il se rend compte que Bourdeau n'est pas Burdeau. En ce sens, Bourdeau n'est pas celui qu'il croit être, lors de la rédaction de la lettre de présentation ; de même, son éloge de la traduction française de Schopenhauer toucherait son interlocuteur qui se retrouve assimilé à Auguste Burdeau... Jusqu'à l'arrivée de la réponse de Jean Bourdeau, qui met un terme définitif au quiproquo, en signifiant non seulement qu'il y a sans doute erreur sur la personne ; le fait qu'il avait préalablement entendu parlé de lui par l'entremise de Gabriel Monod. Ce dernier qui, rappelons-le, était à Rome en compagnie de monsieur Paul Bourget et Olga von Meysenbug en octobre 1888, en pleine querelle au sujet du Cas Wagner et dans la période de composition du Disciple ; le fait que Monod lui aurait fait promettre de rédiger un article sur le Cas Wagner dans le Journal des Débats ; le fait que la traduction en langue française est remise à plus tard. Autant de petits faits vrais, qui mettent en évidence une connivence entre les correspondants à son encontre. Considérons que la querelle autour du Cas Wagner, qui s'amorce par la publication de l'article de Richard Pohl, était sur le point de gagner le public parisien avec l'article de Bourdeau ; que cet article, commandité par Monod – preuve de la connivence avec Bourdeau – était perçu comme une exécution publique, pareille à celle de Linska de Castillon dit « Prado » du 28 décembre 1888...

Monsieur Taine ambassadeur. Avant d'examiner la maigre poignée de fragments posthumes, rédigés au cours de l'hiver 1888-1889 ; de restituer les vestiges de la dite proclamation contre les prussiens, il importe d'interroger préalablement les raisons pour lesquelles, le philosophe adresse la conclusion de son traité politique au Journal des Débats le 1er  janvier 1889. Ainsi, indépendamment du contenu du feuillet détruit par la mère, de la conclusion adressée à Jean Bourdeau aujourd'hui perdue ou bien égarée dans un fond d'archive, nous pouvons tout de même signaler que le philosophe reproduit ici le geste de Taine, rédige la conclusion de la proclamation à la manière de Taine, l'envoi au rédacteur qui lui est recommandé par Taine, pour figurer dans la revue de Taine... A moment de l'armistice de 1870, Hippolyte Taine avait jadis rédigé deux proclamations aux neutres publiées dans des journaux anglais, dans le cadre d'une mission diplomatique chapeautée par son ami Albert Sorel. Or, nous ne pouvons manquer de surprendre quelques analogies entre les proclamations de Taine et la dernière section du Ecce Homo ; notamment la formule visionnaire, qui réside dans l'autoportrait de l'homme providentiel : « Il y aura des guerres comme il n’y en eut jamais sur la terre », que nous retrouvons dans la proclamation de Taine publiée le 9 octobre 1870 intitulée « l'opinion publique en Allemagne et les conditions de la paix », je souligne : « Ainsi nous aurions en perspective un siècle ou au moins un demi-siècle de massacres ». Certes, Taine n'était pas le rédacteur en chef du Journal des Débats, mais n'en demeure pas moins l'un des principaux contributeurs de la revue. De sorte que l'envoi de la déclaration de guerre contre les Hohenzollern, serait le résultante de l'ironie de la dernière lettre, la conséquence de son aveuglement à l'égard de Taine (Rohde). Ce qui conforte ici notre thèse, ce sont les modifications apportées aux dernières sections du Ecce Homo, ainsi que les fragments posthumes appartenant à la même période de composition. Ayant la curiosité de regarder du côté des manuscrits, le coup de filet de l'oiseleur précédemment commenté sur les psychologues parisiens, était dépourvu du magistral coup de poignard asséné dans le dos de Taine. Ou que l'éloge de Stendhal qui lui succède dans les textes, comporte une variante dans les posthumes, dans laquelle nous retrouvons un éloge du sensualisme de Condillac et des idéologues de Traçy, soit la filiation de Taine dans l'histoire des idées. Que la poignée de posthumes comporte, la dernière allusion au petits faits vrais de Taine, pour qualifier les peintures orientalistes d'Eugène Fromentin (parmi les filles du désert). Autant d'indices que nous prélevons dans les sources et qui nous permettent de rendre compte du soudain revirement à l'égard de Taine dans le Ecce Homo, de montrer que la formule « Mon canal de Panama pour la France est ouvert », signifie moins la promesse d'une prompte publication de ses livres en langue française, que l'opportunité de provoquer un scandale aussi retentissant que l'affaire du Panama en France (Lesseps), en rédigeant dans un élan aristophanesque un traité machiavélique à l'adresse d'un César Borgia ; en adressant au public parisien un plaidoyer aussi effronté que celui prononcé par Linska de Castillon dit « Prado » devant ses juges...

 

(01/03/21 Ajouts et reformulations, insérés dans le texte précédent)

 

 

 

 

 

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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:20

(Jean Béraud, salle de rédaction du journal des débats en 1890, détail)

 

Les échos de la lettre de Taine dans le Ecce Homo. Quelques indices, prélevés dans les lettres, nous conduisent à signaler que le criminel honnête n'a pas manqué de percevoir la tournure ironique de la lettre du philosophe français, il y a d'abord la formule « honoré et – fait honte » qui semble attester du reversement ironique procuré par l'éloge empoisonnée ; ensuite la seconde référence à Taine au sein de la lettre de présentation à Bourdeau : « Par-delà Bien et Mal : pour cette œuvre également, M. Taine m'avait en son temps, fait preuve de son extraordinaire intérêt », qui pourrait laisser entendre que « le temps » de monsieur Taine serait à présent révolu... Un tiret de trop par ici, une virgule en moins par là, cela fait somme toute peu de choses pour soutenir l'insoutenable ou dire l'indicible. Suis-je le sujet d'une hallucination vraie, lorsque je raconte que l'oncle Graindorge vient de lui mettre un grand coup de botte ? Que la recommandation de Taine le conduit directement dans un guet-apens, puisque Bourdeau était déjà occupé à lui confectionner une redingote sur-mesure au sujet du Cas Wagner pour les vitrines du Journal des Débats, sorte de manteau divin pour le dire à la manière de Carlyle (sourire) ? Seulement, ces indices ne résident pas seulement dans les échanges épistolaires de décembre 1888, mais également au sein du Ecce Homo et dans les posthumes d'hiver 1888-1889. (transition)

A partir de la correspondance avec le dramaturge suédois August Strindberg, nous considérons que le Ecce Homo était terminé le 4 novembre 1888. Sauf que nous retrouvons une allusion à la dernière lettre de Taine du 14 décembre, le philosophe français qui salue une fois encore les audaces et les finesses du Crépuscule des Idoles : « Mon vieux maître Ritschl prétendait même que je concevais mes dissertations philo-logiques comme un romancier parisien - d’une façon captivante jusqu’à l’absurdité. À Paris même on est étonné de « toutes mes audaces et finesses » l’expression est de M. Taine ». Ce qui nous permet, sinon d'étendre considérablement la période de composition du manuscrit ; de signaler du moins que le criminel honnête reformule certains passages et ajoute une dernière section à son plaidoyer rédigé à la manière de Prado. De sorte que la référence à la lettre du 14 décembre, nous prouve que Taine est personnellement visé par les ajouts et les variantes rédigées dans les jours qui précèdent l'effondrement. Alors que le nom de Taine résidait au côté de celui de Burckhardt au sein de la correspondance avec Rohde, nous le retrouvons désormais à la suite du vénérable maître Ritschl. A titre de rappel, il s'agit d'indiquer que le dernier parricide manqué fait échos au premier, ou de montrer que la sentence de son ancien professeur de philologie au sujet des romanciers parisiens, n'était pas dépourvue d'une tonalité ironique similaire à celle de la lettre de Taine ; de manière à mettre en parallèle l'ancienne querelle autour de la Naissance de la Tragédie (Wilamowitz) et celle qui l'occupe à présent au sujet du Cas Wagner (Pohl). A-t-il fait preuve de la même hypocrisie à l'égard d'un monsieur Taine « ambassadeur des français », que jadis envers Ritschl « gouverneur de province » ? Mais à quoi peuvent aboutir de tels indices, sinon à prouver que le criminel honnête réplique ici à la tournure ironique de la lettre de Taine, en le plaçant à côté du vénérable maître Ritschl ? Mais alors, qu'en est-il du magistral coup de poignard asséné dans le dos de Taine, qui intervient au terme de son coup de filet sur les romanciers parisiens ?

Ce sont là des considérations philologiques, mais le cahier W-II-10 comporte plusieurs passages du Ecce Homo. Or, nous remarquons qu'entre le coup de filet sur les romanciers parisiens et l'éloge de la psychologie stendhalienne qui lui succède : le coup de poignard dans le dos de Taine : « Je préfère même cette génération-là, entre nous soit dit, à ses grand maîtres, qui ont tous été corrompu par la philosophie allemande : M. Taine l’a été par exemple par Hegel, à qui il doit d’avoir commis tant de contresens sur de grands hommes et de grandes époques », n'apparaît aucunement dans le carnet (p 115-114 à rebours). Ce qui nous autorise à dire sur la pointe des pieds, que le magistral coup de poignard asséné dans le dos de Taine serait ici encore un ajout, ou que son revirement à l'égard du philosophe français intervient textuellement dans les jours qui précèdent l'effondrement. Sur ce point, l'éloge du sensualisme de Condillac et des idéologues de Traçy qui figurent dans les posthumes et qui devaient être accolés à celui de Stendhal, prouvent que le passage faisait toujours l'objet de reformulation au cours de l'hiver 1888-1889, soit entre le jour de noël et le jour de l'an. De même pour l'autoportrait présent dans la dernière section, dont nous retrouvons les variantes au sein des fragments d'hiver 1888-1889. Si vous admettez que les mentions du nom de Taine datent de fin décembre 1888, alors nous venons de prouver qu'il diffuse la rumeur, tout en répliquant simultanément dans les sources...

 

(14/03/21 Ajouts et reformulations, insérés dans le texte précédent, acte V)

 

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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:18

(Portrait de Taine par Luque Manuel 1919)

La déclaration de guerre contre les Hohenzollern. Autre élément, qui nous conforte dans l'idée que Taine est directement concerné par l'envoi de la proclamation au Journal des Débats : les termes de déclaration de guerre apparaissent dans la lettre du 8 décembre 1888 : « j'ai, dans tous mes instincts déclaré la guerre à l’Allemagne (-tout le chapitre « Ce qui manque aux Allemands »).. »[1]. Simple auto-référence, mais qui nous permet de placer le mémoire rédigé au cours du mois de décembre, en continuité de cette section du Crépuscule des Idoles (§ 3-4), mais plus encore à la suite de toutes les invectives sur l'esprit du peuple allemand qui figurent dans les dernières sections du Ecce Homo. Le fait que les thématiques abordées dans la correspondance avec Taine, reviennent dans les posthumes d'hiver 1888-1889 et plus particulièrement les fragments de la proclamation contre les prussiens n'a jamais été pris en considération. D'autant que les considérations sur les génies nationaux s'amorcent antérieurement au sein de « l'inestimable billet de monsieur Taine » d'octobre 1886. A titre de rappel indiquons que le philosophe français relève les aphorismes de la huitième section du Par-delà Bien et Mal au sujet des caractères et des génies nationaux, dont l'aphorisme 241 sur les bons européens qui comporte la contre-formule : « la grande politique » (die grobe politik). Pour autant, le fait que monsieur Taine – jadis ambassadeur des français en 1870 – soit personnellement visé par l'envoi de la proclamation (imitation), ne doit pas nous faire perdre de vue que le criminel honnête s'adresse au public parisien, par l'entremise d'un Jean Bourdeau tantôt ambassadeur tantôt laquais, disons plutôt son porte-parole auprès du peuple français : « le journal des débats suffit... » S'adressant au public parisien, qui ne connaît pas encore les œuvres du vir obscurissimus, nous pouvons présumer que la conclusion du mémoire comporte d'éventuelles redites : la grande politique étant un thème récurrent qui intervient déjà dans l'aphorisme dans Aurore (§189), puis dans le Par-delà Bien et Mal (§241), ainsi qu'à plusieurs reprises au sein du Crépuscule des Idoles (VI.§3 ; IX §3-4) ; qui subsisteraient également dans le Ecce Homo, ainsi que dans les posthumes d'hiver 1888-1889. L'éventualité d'une redite, touche tout particulièrement l'autoportrait de la dernière section du Ecce Homo, qui annonce la grande politique ; autoportrait, dont nous retrouvons les variantes dans les derniers posthumes qui appartiennent au même groupement périodique que les fragments de la proclamation. Les dernières lettres à Georg Brandes, ainsi que les lettres adressées à Köselitz et Overbeck le jour de noël, nous permettent d'estimer la courte période de rédaction du mémoire aujourd'hui perdu ; il y a aussi le témoignage de Bourdeau qui nous renseigne sur le contenu de la conclusion qui lui a été adressée, le rédacteur revient brièvement sur les circonstances de l'échange, puis retranscrit les billets de la folie qu'il a reçu à la suite de l'envoi de la proclamation (signés le Crucifié). Comme le Ecce Homo devait être publié avant la venue de l'Antéchrist (Podach, I), nous considérons que le mémoire occupe une place tout à fait transitoire entre les deux livres, la condamnation dynastique qui devait figurer à la fin du Ecce Homo, équivaut à la condamnation du sacerdoce en conclusion de l'Antéchrist. Notons que dans les deux cas, il ne s'agit aucunement d'abolir toutes les religions, encore moins l'ensemble des dynasties européennes, mais seulement la religion chrétienne et la dynastie Hohenzollern. Sinon cela reviendrait à faire de lui un « anarchiste malgré lui » pour reprendre le titre de Jean Bourdeau, nous y reviendrons. Notons par ailleurs, que le régime narratif de la condamnation du christianisme est proprement analogue à celui de la déclaration de guerre que nous retrouvons dans les posthumes d'hiver 1888-1889 :

La grande politique. J'apporte la guerre. Pas entre les peuples : je ne trouve pas de mots pour exprimer le mépris que m'inspire l'abominable politique d'intérêts des dynasties européennes, qui de l'exaspération des égoïsmes et des vanités antagonistes des peuples, fait un principe et presque un devoir. Pas entre les classes. Car nous n'avons pas de classes supérieures, et, par conséquent [pas] d’inférieures ; ceux qui, dans la société aujourd'hui, tiennent le dessus, sont physiologiquement condamnés, et en outre ce qui le prouve – si appauvris dans leurs instincts, devenus si incertains qu'ils professent sans scrupules le principe opposé d'une espèce supérieure d'[homme].

 

J'apporte la guerre, une guerre coupant droit au milieu de tous les absurdes hasards que sont les peuples, classe, race, métier, éducation, culture : une guerre comme entre monté et déclin, entre vouloir vivre et désir de se venger de la vie, entre sincérité et sournoise dissimulation... Si toutes les « classes supérieures » prennent parti pour le mensonge, elles ne l'ont pas librement choisi – elles ne peuvent faire autrement : on n'est pas libre de tenir à distance les mauvais instincts. - Il n'y a pas de cas qui montre mieux à quel point la notion de « libre-arbitre » a peu de sens : on dit « oui » à ce qu'on est, on dit « non » à ce qu'on n'est pas... Le nombre parle en faveur des « chrétiens » : la trivialité du nombre... Après avoir traité pendant deux millénaires l'Humanité à coups d'absurdités physiologiques, il faut bien que la dégénérescence et la confusion des instincts aient pris le dessus. N'est-elle pas à faire frémir, l'idée que ce n'est que depuis 20 ans à peu près que sont traitées avec rigueur, avec sérieux, avec sincérité, les questions les plus immédiatement importantes : celle de l'alimentation, de l'habillement, de la cuisine, de la santé, de la procréation.

 

Premier principe : la grande politique veut que la physiologie soit la reine de toutes les autres questions : elle veut créer un pouvoir assez fort pour élever l'humanité, comme un tout supérieur, avec une dureté sans ménagements, contre tout ce qu'il y a de dégénéré et de parasitaire dans la vie, – contre ce qui pervertit, contamine, dénigre, ruine... et voit dans l'anéantissement de la vie l'emblème d'une espèce supérieure d'âme.

 

Deuxième principe : Guerre à mort contre le vice : est vicieuse toute espèce de contre-nature. Le prêtre chrétien est l'espèce d'homme la plus vicieuse : car il enseigne la contre-nature.

 

Deuxième principe : créer à partir de la vie, assez fort pour la grande politique : la grande politique fait de la physiologie la reine de toutes les autres questions, - elle veut élever l'humanité comme un tout, elle mesure la place des races, des peuples, des individus, d'après leur [-], d'avenir, d'après la garantie de vie que comporte leur avenir, - elle met impitoyablement fin à tout ce qui est dégénéré et parasitaire.

 

Troisième principe. Le reste en découle.

 

(Fragment d'hiver 1888-1889, 25 [1])

La conclusion du traité machiavélique. Examinons de plus près la poignée de fragments posthumes rédigés au cours de l'hiver, de manière à exhumer les vestiges de la conclusion du mémoire adressée à Jean Bourdeau le premier janvier 1889, sous la forme d'une déclaration de guerre contre le Kaiser et son chancelier Bismarck, visant à liguer toutes les dynasties européennes et par-là-même briser la triple-alliance par un grand « éclat de rire historico-mondial »[2]. Afin d'éviter un malentendu, nous ne prétendons aucunement reconstituer la source par un agencement des posthumes, mais parvenir à identifier nettement les fragments de la proclamation contre les prussiens, voir parvenir à démontrer que seuls subsistent les fragments de la conclusion du mémoire. On pourrait être tenté d'aborder les posthumes de manière linéaire, de façon à respecter minutieusement l'ordre d'apparition présent au sein de la retranscription ; seulement les manuscrits de la période sont rédigés à rebours et occupent souvent une page sur deux dans les carnets. Ce qui reviendrait à le lire à l'envers, en amorçant notre lecture par l'exhortation finale... ; la déclaration de guerre pourrait aussi bien constituer la chute et non l'ouverture de la proclamation contre les prussiens... Toutefois, que nous les appréhendons dans un sens ou dans l'autre, les contrariétés dans l'ordre de progression restent inchangées. Nous devons reconnaître que la piste que nous arpentons devient impraticable, plus encore à la vue des variantes et des répétitions incessantes qui jalonnent le chemin.

Sauf que la lettre fantôme, qui accompagnait la proclamation adressée au Journal des Débats, nous indique que la dernière phrase de la première partie de la proclamation devait s'achever par le terme « exécuter » (exekutiren), qu'il demande à remplacer par la formule « établir de manière ferme et de manière ferme et définitive », les termes employés sont « niet- und nagelfest machen » qui signifient lui clouer le bec. Bien que la formule n'apparaît pas stricto sensu dans les fragments, le groupement comporte de plusieurs variantes comme : « condamno te ad vitam diaboli vitae, en t'anéantissant, Hohenzollern, j'anéantis le mensonge »[3](vernichte) ; ou « Qu'on livre le jeune criminel en mon pouvoir ; et je n'hésiterai pas à le perdre et à mettre le feu à son esprit criminel »[4](verderben). De sorte que l'ordre des fragments dans la retranscription du moine copiste est forcément trompeur, car nous retrouvons les termes indiqués à la fin du groupement périodique. Maintenant que nous savons que la proclamation était divisée en deux parties, nous pouvons à notre tour séparer les fragments de la proclamation en deux groupements distincts...

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1. Extrait de la lettre à Taine du 8 décembre 1888.

2. Lettre à Jean Bourdeau du 1er janvier 1889.

3. Fragment 25[21]

4. Fragment 25[20]

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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:14

(Jan Matejko, Jan Kazimier na Bielanach, 1861)

La question du sosie dans les billets de la folie. C'est la référence aux tableaux de Jan Matejko, au sein du curriculum vitae adressé à Georg Brandes : « On me dit que ma tête figure sur des peintures de Matejko »[1], qui nous entraîne sur une piste délaissée par les interprètes, ou du moins qui n'apparaît pas dans le récit de Podach ou bien les dernières pages du livre de Klossowski. Seul le traducteur des lettres fantômes, nous renseigne sur la provenance du « on-dit », en restituant une curieuse anecdote au sein des notes de bas de pages : « Nietzsche songe sans doute à Résa von Schirnhofer qui, dans Vom Menschen Nietzsche, écrit que le philosophe s'était « fortement réjoui », lorsqu'elle lui avait rapporté qu'elle « avait vu, dans une peinture historique de Jan Matejko à Vienne, des têtes apparentées [à la sienne] par la forme d'une manière caractéristique et ne relevant pas simplement d'une ressemblance superficielle due à la moustache ». »[2]. Outre le fait insolite, qu'il se dépeint lui-même par l'entremise d'un portrait qui représente quelqu'un d'autre, ajoutons que le nom de Matejko revient dans les billets de la folie, notamment au sein d'une exhortation aux polonais : « Aux illustres Polonais. Je vous appartiens, je suis Polonais plus encore que je ne suis Dieu, je veux vous rendre hommage, comme je sais le faire... Je vis parmi vous en tant que Matej[k]o. Le Crucifié »[3]. Autant que nous puissions en juger, l'apparition furtive du sosie pourrait demeurer inaperçue, ou paraître insignifiante à première vue, mais il n'est pas moins clair que nous restituons le sens de l'exhortation aux polonais, lorsque nous constatons par nous-même la ressemblance frappante avec le peintre. A cela s'ajoute - bis repetita - l'ironie du fait que le peintre esquisse lui-même le portrait de son propre sosie, en la personne de Szymona Darowskiego (1858) et qui de plus n'a de cesse de se représenter lui-même dans la plupart des fresques historiques qu'il a réalisé ; au point de transposer ses propres traits sur la figure de Rafal Leszczyńskiou celle de Boleslaw le Brave, figurant à droite de Moïse en train de noter le décalogue dans son carnet. Parmi les esquisses, il y a aussi un autoportrait qui le représente assis dans un fauteuil avec une couverture sur les jambes. A présent que nous avons montré la référence au sosie dans le billet aux polonais, il s'agit de ne plus le laisser s'échapper, de le débusquer partout où il apparaît, de le prendre à chaque fois la main dans le sac.

 

 

(photographie de Alexander Herzen)

Il y a aussi le billet à Malwida allias Kundry, en référence au Parsifal de Wagner, afin de désigner Malwida von Meysenbug « Archidiablesse, Rose infernale » (acte II) : « Supplément aux mémoires d'une idéaliste. Bien que Malwida, comme chacun le sait, soit Kundry, celle qui a ri au moment où le monde chancelait, il lui sera beaucoup pardonné parce qu’elle m’a beaucoup aimé : voir le premier tome des Mémoires… Je respecte toutes ces âmes choisies autour de Malwida en Natalie vit son père et celui-ci était moi également. Le Crucifié » [4] ; allias Kundry, en référence au Parsifal, qui lui lance des maléfices depuis son sofa à Rome, comme Kundry allongée sur la scène de tout son long au moment de l'invocation ; Malwida qui a ri devant lui comme Kundry au moment de la réception du Cas Wagner, mais au point culminant de la rédaction de l'Antéchrist, qui intervient pour « briser le monde en deux » (Gast/posthumes), livre qui devait être publié en dernier et qui s'achève par la condamnation du christianisme. Mais l'élément qui nous intéresse, réside davantage dans la référence aux Mémoires d'une idéaliste, qui nous reconduit directement au récit de la rencontre entre Malwida et Alexandre Herzen. Or, il suffit que la curiosité nous pousse à regarder du côté des livres publiés par Herzen, pour retrouver une fois de plus un portrait photographique du parfait sosie, soit un second exemple de transposition personnelle dans les billets de la folie, mais ce n'est pas tout...

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1. Extrait de la lettre à Georg Brandes du 10 avril 1888, traduction Harder.

2. Yannick Souladié, Dernières lettres, note page 101.

3. Lettre du 4 janvier 1889.

4. Lettre à Malwida du 4 janvier 1889

Antoine michon 26/03/2021 extraits de la fin de mon livre

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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:12

Zarathoustra devant le roi. Je reprend ici le titre d'un poème inédit à l'époque, que l'on rencontre en feuilletant les journaux de la première réception un peu par hasard[1], qui intervient plusieurs années après le drame, un fragment de la suite du Ainsi parlait Zarathoustra. Ce petit morceau de mémoire est intéressant à plus d'un titre, car nous remarquons une étroite relation entre le récit et les billets de la folie adressés au cardinal Mariani et au Roi Umberto Ier, ainsi que les lettres fantômes envoyées au Kaiser et son chancelier Bismarck. De sorte que le criminel honnête cherche à reproduite en acte les paroles inscrites dans le poème à la manière d'un certain Henri Chambige, ou plus précisément de mettre en parallèle le dialogue entre Zarathoustra et le roi et le billet adressé au roi Humbert 1er : « À mon cher fils Umberto. Que ma paix soit avec toi ! Je viens à Rome mardi et je veux te voir à côté de Sa Sainteté le pape. Le Crucifié ». Cette analogie entre la fiction présente dans le poème et la réalité de la demande d'audience auprès des deux rois et du dernier pape nous intrigue davantage, lorsque nous remarquons que le cadre esthétique du poème – ou plutôt la transfiguration parodique du dialogue – n'est autre que le dialogue entre le Christ et Pilate.

Alors attrapons-le une bonne fois pour toutes le sosie qui vient une fois encore de passer devant nos yeux... Le billet de la folie n'est plus si fou que cela, du moment que nous restituons toute la tonalité comique de la formule, lorsque nous débusquons une fois encore la présence du sosie, en pointant du doigt la ressemblance entre son propre profil et celui du roi Victor Emmanuel II, au revers des pièces italiennes de l'époque. A présent, imaginez la surprise du roi d'Italie, lisant la requête de son défunt père, qui lui demande de le rejoindre à Rome le mardi 7 janvier, pour une audience devant le pape au Vatican, il y à la de quoi rire... Rire, car si vous admettez avec moi que le poème est rédigé antérieurement à la crise, l'acte que le criminel honnête s'apprête à commettre devient une mise en scène, comme Chambige qui commet un meurtre littéraire, en reproduisant trait pour trait les scènes de son roman favori. Côté pile, le philosophe se prend personnellement pour Victor Emmanuel II et nous sommes en présence d'un délire ; côté face, le billet est une plaisanterie qui s'efforce de mettre en scène le poème Zarathoustra devant le roi : sa propre condamnation à mort.

 

Notre époque n'est plus un temps pour les Rois : les peuples ne méritent plus d'en avoir.

Tu l'as dit, Roi : l'image qui passe devant le peuple, l'image qui les transforme tous en images, cette image doit être Roi pour le peuple !

Détruis, ô Roi, détruis les hommes qui ne sont pas précédés par des images: ce sont les pires ennemis de l'humanité !

Et si les Rois eux-mêmes sont de ceux-là, détruis, ô Roi, les Rois, si tu le peux !

Mes juges et mes protecteurs du droit ont convenu de détruire un homme nuisible; ils me demandent si je veux laisser suivre son cours à la justice ou si je veux faire grâce.

Qu'y a-t-il de plus difficile à choisir pour un Roi : la grâce ou la justice ?

« La justice, » répondit le Roi ; car il avait l'âme charitable.

Choisis donc la justice et laisse la grâce aux despotes, c'est leur assujettissement.

Je reconnais Zarathoustra, dit le Roi en souriant : qui donc mieux que Zarathoustra saurait s'humilier avec fierté ?

Mais ce que tu as rencontré, c'est une condamnation à mort.

Et lentement et à mi-voix il lut cet arrêt, comme s'il était seul avec lui-même : « Il est digne de mort — Zarathoustra le corrupteur du peuple. »

« Tue-le donc, si tu en as le pouvoir, » — s'écria Zarathoustra d'une voix formidable, et ses regards transperçaient la pensée du Roi.

Et le Roi songeur s'éloigna de quelques pas, jusque dans l'embrasure de la fenêtre; il ne disait pas un mot, il ne regardait pas Zarathoustra. Enfin il se retourna vers la fenêtre.

Mais lorsqu'il regarda dehors, il vit quelque chose qui altéra la couleur de son visage.

Zarathoustra, dit-il, avec la politesse d'un Roi, excuse-moi si je ne te réponds pas de suite. Tu m'as donné un conseil que vraiment j'aurais aimé suivre ! Mais il est venu trop tard !

En disant ces mots il déchira le parchemin et le jeta par terre. Ils se séparèrent en silence.

Ce que le Roi avait vu de sa fenêtre, c'était le peuple : le peuple attendait Zarathoustra.

 

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[1] Fragment inédit présenté par Henri Albert, in Revue Pan : société artistique et littéraire, d'avril-mai 1895.

 

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29 mai 2018 2 29 /05 /mai /2018 13:10

 

Les lettres au Kaiser et son chancelier Bismarck. Si d'un côté le cas Taine nous donne l'occasion de revenir sur les circonstances de l'envoi de la déclaration de guerre à Jean Bourdeau le rédacteur du Journal des Débats ; nous ne devons pas négliger de l'autre l'envoi du Ecce Homo au Kaiser et son chancelier Bismarck ; qui remarquons-le sont deux gestes analogues et peut-être même simultanés. En effet, malgré les annotations minutieuses du traducteur des lettres fantômes, nous ne parvenons pas toujours a bien discerner les lettres inédites qui constituent un tiers du volume, encore moins à dater avec précision le moment de la composition des brouillons en question. On remarque que les lettres adressées au Kaiser et au chancelier sont classées antérieurement parmi les lettres de décembre 1888 ; alors que nous somme manifestement en présence d'un billet de la folie... Ce n'est pas tant la signature de la lettre à Bismarck : « L'Antéchrist Friedrich Nietzsche. Fromentin » qui nous amène à considérer que les lettres ne sont pas rédigées début décembre ; puisque la dédicace du Crépuscule des Idoles adressée en novembre à Strindberg comportait déjà la signature « der Antéchrist », mais plutôt la concordance entre les esquisses de la lettre au Kaiser et la toute dernière section du Ecce Homo.

 

(désolé, pas de citation intégrale sur le blog..)

 

Notons d'une part que la référence au peintre orientaliste apparaît dans les posthumes d'hiver 1888-1889, avec la dernière allusion aux « petits faits vrais » de Taine. Détail qui nous permet du moins de replacer les esquisses de la lettre au Kaiser et Bismarck fin décembre, plus précisément entre le 25 décembre 1888 et le 4 janvier 1889. Bien que la référence à Eugène Fromentin réside au seuil du groupement périodique, nous ne devons pas perdre de vue que les manuscrits de la dernière période sont rédigés à rebours et occupent les pages vacantes de différents carnets. Indiquons de l'autre, que les esquisses de la lettre à Bismarck comportent une variante de l'autoportrait présent au sein de la dernière section du Ecce Homo. Cet autoportrait, qui devait figurer aussi en ouverture de la déclaration de guerre adressée au Journal des Débats. De sorte que la conclusion du mémoire au cours européennes serait la version complète de la toute dernière section du Ecce Homo. C'est parce qu'ils vient d'envoyer les lettres au Kaiser et au chancelier Bismarck et la déclaration de guerre au Journal des Débats, qu'il dit dans son billet de la folie à Franz Overbeck : « À l’ami Overbeck et à sa femme. Bien que vous ayez démontré jusqu’à maintenant une croyance limitée dans ma capacité à compter, j’espère pouvoir encore démontrer que je suis quelqu’un qui paie ses dettes ― par exemple envers vous… Je viens de faire fusiller tous les antisémites.. Dionysos ». A première vue, il est difficile de comprendre l'allusion à Fromentin au sein de la lettre au Kaiser, encore moins la raison pour laquelle il s'identifie ici à ce peintre, qui à la différence de Matejko est dépourvu de toute ressemblance physique. On pourrait rapprocher les tableaux de Fromentin du poème orientaliste parmi les filles du désert, ou retrouver dans les peintures une ambiance de Sirocco dans les rues de Turin, dans la même veine que les tableaux de Claude Lorrain. La figure du berbère, qui porte un aigle sur l'épaule, dans le tableau la chasse au faucon, pourrait ressembler à la vision de Zarathoustra dans le récit ; mais de telles considérations esthétiques nous éloignent de l'énigme que nous tentons de résoudre. Le traducteur des lettres fantômes indique à bon droit, dans les notes de bas de pages, que l'allusion à Fromentin appartiendrait au même registre que la deuxième plaisanterie dans la lettre à Jacob Burckhardt au sujet d'Alphonse Daudet et de l'académie-française. Ce détail m'a permis de comprendre le rapprochement entre Fromentin et Taine au sein des fragments posthumes d'hiver 88-89 et de mettre la main sur un autre élément de confirmation de notre thèse. A savoir, que l'on refuse à Taine et Fromentin le fauteuil de l'académie française. Que cela avait sans doute dégrisé Burckhardt, lors d'antiques conversations à Bâle, de l'humour noir semble-t-il, l'anecdote du peintre qui meurt suite au refus de sa candidature en 1876...

De même, Taine est supplanté par le philosophe Elme-Marie Caro en 1874 au fauteuil n°27... Et c'est là que réside l'élément qui nous intéresse, Caro n'est autre que le beau-père de Jean Bourdeau ! Il y a beaucoup d'arrières-pensées dans les plaisanteries, que seul Burckhardt était apte à comprendre au moment de la réception de la lettre. Mais ne négligeons pas le trait d'humour en présence, l'allusion à Daudet (dont il partage la vision antidémocratique, n'en déplaise à certains), nous ramène très précisément un à un passage de l'Immortel : « Je salue les Immortels Monsieur Daudet appartient aux quarante »

 

Mais c’est avec les Astier que je me plais le mieux, dans cette patriarcale famille, si unie, si simple. L’autre jour, après déjeuner, on apporte au maître un habit neuf d’académicien, nous l’avons essayé ensemble ; je dis nous, car il a voulu voir sur moi l’effet des palmes. J’ai mis l’habit, le chapeau, l’épée, une vraie épée, ma chère, qui se tire, montrant une rigole au milieu pour l’écoulement du sang ; et, ma foi, je m’impressionnais moi-même. Enfin, c’est pour te montrer le degré de cette intimité précieuse. (Alphonse Daudet, l'Immortel, 1890, chapitre 7)

 

Alphonse Daudet, qui revêt la redingote dorée de l'académicien, pour ressentir à son tour « l'effet des palmes » n'est pas la moindre vision qu'il nous est permis d'entrevoir, l'anecdote au sujet de Daudet ayant pour fin de rappeler, les anecdotes antérieures au sujet de Taine et de Fromentin, au sein de la période bâloise (74-76). Voici, du moins notre interprétation de la seconde plaisanterie présente dans la dernière lettre à Jacob Burckhardt... La signature qui devait figurer sur la lettre au Kaiser, devait signifier la comparaison entre l'anecdote de Fromentin et la sienne, le Fromentin Allemand.

 

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28 mai 2018 1 28 /05 /mai /2018 21:54

(Portrait de Paul Bourget) 

 

Tout le système philosophique de M. Taine était dressé dans son esprit dès ses premiers livres. On en trouvera un résumé d’une clarté supérieure dans les deux chapitres qui terminent les Philosophes classiques du XIXe siècle, — chapitres composés, nous dit la préface, ainsi que le reste de l’ouvrage, exactement en 1852, et sous l’influence des libres causeries avec quelques jeunes gens très distingués de cette époque. A lire la préface de l’Intelligence, où l’auteur a ramassé, près de vingt ans plus tard, et comme en un corps de doctrine, ses certitudes et ses hypothèses sur la pensée et sur la nature, il est aisé de constater que le système, pareil à quelque édifice d’une savante et forte architecture, n’a pas bougé. Considéré dans ce qu’il a d’essentiel, ce système se ramène à concevoir le moi comme constitué par une série de petits faits qui sont des phénomènes de conscience, et la nature comme formée par une série parallèle de petits faits qui sont des phénomènes de mouvement Le philosophe est catégorique sur ces deux points : « Il n’y a rien de réel dans le moi, » dit-il, « sauf la file de ses événements. » En d’autres termes, pas plus dans le moi que dans les corps, M. Taine n’admet une substance permanente et cachée qui soutienne les qualités et qui survive, identique et durable, aux événements accidentels et passagers. Des fusées de phénomènes caducs, qui montent quelques minutes ou quelques heures, puis s’abîment irréparablement, — tel est pour lui le monde. C’est, comme on voit, une réapparition de l’antique hypothèse d’Héraclite sur l’écoulement universel. Pour nous représenter ce moi et cette nature, ce sont donc de petits faits qu’il faut connaître et qu’il faut classer. La méthode se trouve être la même dans les sciences dites morales et dans les sciences dites naturelles. Dans les unes comme dans les autres, c’est par une analyse qu’on doit commencer. Je suppose que j’aie à étudier la personnalité d’un écrivain ou d’un général ; je ne procéderai pas autrement qu’un chimiste placé devant un gaz, ou qu’un physiologiste en train d’examiner un organisme. Je dresserai par voie d’observation une liste des petits faits qui constituent cet écrivain ou ce général. Cette liste une fois dressée, je déterminerai, par voie d’induction, les faits dominateurs, ceux qui commandent les autres, comme dans un arbre les plus grosses branches commandent les moindres. Il est ainsi des phénomènes initiaux, des génératrices, c’est le terme même de M. Taine, de qui les autres dérivent. Transformez-les, une transformation totale suit. Comprenez-les, vous comprendrez tous les phénomènes secondaires. Dans un animal, la nutrition, par exemple, est une de ces génératrices. Dans un écrivain, comme dans un général, ce sera le genre d’imagination.[1]

 

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[1] Paul Bourget M. Taine : Essai de psychologie contemporaine : Baudelaire, M. Renan, Flaubert, M. Taine, Stendhal, Paris, Plon, 1889, le milieu).

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